De vous à moi

Lettre ouverte à Paris

Cher Paris,

La première fois que je t’ai visité, j’étais beaucoup trop jeune pour m’en rappeler. Je vais donc me fier à ce que ma mère m’a racontée. J’avais quatre ans. Nous étions au mois de Décembre. En plein cœur de l’hiver. Nous passions les fêtes de Noël chez une tante. Les températures n’ont jamais dépassé cinq degrés. Et je t’ai détesté, Paris ! Je n’ai pas cessé de pleurer tant le choc thermique était brutal. Comprends-moi. Mon quotidien était jusqu’alors bercé par la chaleur tropicale et les alizés. J’ai accepté, sans broncher, tous les accessoires indispensables en cette saison : pulls, bonnets, bottines, gants. Mais rien à faire. La douleur que m’affligeait ton hiver était intense. Trop intense. Je mourrais littéralement de froid. Je voulais rentrer chez moi, dans l’arc caribéen.

Dix ans plus tard, je suis revenue te voir avec une de mes cousines. Nous passions quelques semaines d’été chez cette tante. Toujours la même. Quelques jours avant le départ, j’étais excitée à l’idée de partir en « vacances en France ». Oui, pour moi, la France se résumait à toi. Aussi, à l’époque, dans mon esprit, la France hexagonale et les Antilles françaises étaient bien deux « pays » distincts. Faute à leur éloignement géographique. Dans ton univers, tout était différent, cher Paris. L’architecture, les paysages, les spots publicitaires, le gingle du point météo, les parcs, les marchés aux puces. En revanche, dans ton monde, il y avait les parcs d’attraction. Et ça, c’était chouette ! Beaucoup plus que les devoirs quotidiens dans nos cahiers de vacances.

Dans ton monde, ma cousine et moi, nous nous plaisions à regarder les émissions musicales diffusées sur une chaîne nationale. C’était la grande mode des Boys Band. Notre jeu ? Nommer le plus rapidement possible le chanteur d’un trio populaire. La récompense ? L’avoir comme « amoureux secret » le temps de l’été. L’innocence de l’enfance, me diras-tu. J’avais donc dû me résigner à prendre Nathan des « Two Be Free ». Philippe, mon préféré, ayant déjà été pris d’assaut par ma cousine. Je n’avais pas été assez rapide sur ce coup-là !

Je te trouvais une odeur particulière. Quelque chose assez proche du pot-pourri qui chatouillait régulièrement mes narines dans les cages d’escalier et les parcs. En parlant de parc, je me rappelle d’une conversation que j’avais eue avec ma tante, son mari et ma cousine. Nous débattions sur la place de la femme dans la société antillaise. J’avais, à l’époque, un avis très tranché et affirmé sur la question : la femme antillaise tient son foyer. Elle en est le « poto mitan » comme on dit là-bas, autrement dit le pilier. C’est cela que d’être élevée par une femme indépendante !

Une dizaine d’années plus tard, je suis revenue vers toi. A croire que notre rythme est de se donner rendez-vous tous les dix ans. Je devais réaliser un stage pour valider ma formation diplômante. J’avais envoyé un nombre considérable de candidatures. Plus d’une trentaine. J’avais essuyé presqu’autant de refus. La dure réalité du marché de l’emploi. La date de démarrage approchait à grand pas. L’angoisse grandissait. Un cabinet parisien m’a proposée de faire partie de leur équipe. Ce n’était pas la mission de rêve mais j’ai accepté leur offre. Je n’avais pas d’autres options. Et c’est là que le parcours du combattant a commencé. J’avais deux mois pour trouver un logement et gérer en parallèle le déménagement de l’appartement que j’occupais. Ne pas être sur place compliquait la situation. Je menais cette opération commando à distance la semaine et dédiais le weekend aux visites. Je te laisse imaginer le montant des frais liés aux allers-retours en train. Dans ton monde, tout était ultra compliqué. Entre les locations bien au-dessus de mon budget, les cautions qui ne convenaient jamais, les logements bien trop éloignés de mon lieu de stage, j’étais complètement désespérée. Ma mission démarrait dans trois semaines. J’ai, par défaut, accepté le bien d’une agence. Je n’avais pas d’autres alternatives. Dans ton univers, se loger correctement peut s’avérer cauchemardesque. Ceci n’est pas un mythe.

Ce studio était une horreur. Des cafards, des problèmes de canalisation récurrents, du bruit. Je ne m’étais jamais sentie aussi mal chez moi. Un mois plus tard, j’ai posé mon préavis. Cette situation ne pouvait plus durer. Je revois encore l’air interloqué de l’agent immobilier. « Mais … je pensais que vous étiez contente de ce bien, Madame ». Eh bien, non. La durée légale du préavis m’a permis d’achever mon stage et ainsi d’obtenir mon diplôme. Je me suis promis que je ne remettrai plus jamais les pieds chez toi, Paris, tant l’expérience avait été traumatisante.

Mais comme moi, tu sais bien qu’il ne faut jamais dire « fontaine, je ne boirai pas de ton eau ». Une opportunité professionnelle m’a ramenée à toi. Je t’avoue que je te craignais beaucoup. Quel sort me réservais-tu cette fois ? A quelle sauce allais-tu me manger ? J’étais inquiète. Mais cette fois-ci, tout allait être différent. Les conditions étaient royales. Un bel appartement haussmannien dans un quartier familial du 15ème arrondissement, mon bureau à 20 minutes porte-à-porte de mon domicile, tous les services à proximité, un groupe d’amis composé majoritairement d’insider qui m’ont permis de te découvrir sous un autre jour. Entre les brunchs dominicaux, les pièces de théâtre, les verres entre amis ou en duo pour bien démarrer les weekends, les expositions en tout genre, la multitude de restaurants, mon temps libre était bien occupé.

J’ai rapidement pris le pli dans ton quotidien. La marche limite au pas de course, se ranger à droite dans les escalators pour laisser passer les plus pressés, le fameux Pass Navigo qui permet de filer entre les portes coulissantes et les tourniquets, les montées et descentes plus ou moins brutales dans les rames de métro, l’interruption de réseau entre les stations « La Tour Maubourg » et « Ecole Militaire » sur la ligne 8, le visage fermé dans les transports, déboutonner son manteau l’hiver dans les bouches de métro car il fait plus chaud que dehors, remonter les strapontins en cas d’affluence, … Cette fois-ci, je me plaisais bien chez toi mais après presque trois ans, je t’ai quitté un peu précipitamment pour des raisons personnelles.

Aujourd’hui, je t’écris depuis la Bretagne où je suis installée depuis quelques années. Il m’arrive parfois d’imaginer ce qu’aurait été ma vie si je n’étais pas partie. Je serai probablement sans enfant, au sommet de ma carrière, au sein d’une entreprise internationale, à partir aux quatre coins du monde pour des missions passionnantes … ou pas. La vie de ces business women qui courent après le temps. Cela, je ne le saurai jamais. Mais ce que je peux te dire, c’est qu’aujourd’hui, je me sens plutôt bien là où je suis. Dans une ville de taille intermédiaire, proche de la mer, avec de l’espace et offrant une belle qualité de vie.

Pas tout à fait comme toi, cher Paris.

Lettre ouverte à Paris

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